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Adieu Au Langage
2 mars 2014

Gilles Deleuze - Cinéma Pensée Cours 70 du 20/11/1984

Et, toujours cherchant à faire mes espèces de courts-circuits, s’il y a quelqu’un qu’il est le plus philosophe des cinéastes, c’est évidemment Resnais. C’est Resnais. Et ce n’est pas par hasard qu’à cet égard, par deux fois, Jean Cayrol et Resnais ont collaboré. Une fois pour Nuit et brouillard - un film dont on ne peut même pas dire qu’il est « sur » les camps d’extermination, mais il a un rapport plus intime encore avec les camps - d’une part. Et d’autre part, pour « Muriel » où Cayrol était le scénariste. Or, quand je dis : les personnages de Resnais, c’est des philosophes - vous savez pourtant ce n’est pas du tout un cinéma ennuyeux, mais la philosophie non plus ce n’est pas... - c’est des philosophes ou du moins, c’est en effet des personnages Lazaréens. Ils sont entre deux morts, mais entre ces deux morts, la mort dont ils reviennent et celle vers laquelle ils vont - la mort du dedans et la mort du dehors -, mais, d’une mort à l’autre, ils lancent un éclat de vie, un éclair de vie, que Resnais appellera « le sentiment » ou « l’amour ». Et si le dernier film de Resnais est un des films où, à la fois, qui paraît l’un des plus ambitieux de toute l’histoire du cinéma et un film qui récapitule toute son œuvre, à savoir « L’amour à mort », c’est que là la situation clé qui a inspiré, mais toute l’œuvre de Resnais se trouve à l’état pur. À savoir : L’homme qui revient des morts, et qui va vers une mort du dehors et entre les deux morts qu’est ce qu’il peut faire ? Et la fatigue, la fatigue qui le prend et qui prend son corps... Bon, et si vous considérez alors rétroactivement toute l’œuvre de Resnais, vous trouverez perpétuellement ce thème. 

Passée par la mort, la vie n’est que vie dans la mesure où elle revient des morts où elle revient de chez les morts. D’où la leçon fantastique de vie qu’il y a et qui se dégage Nuit et brouillard , qui est tout ce qu’on veut sauf un documentaire sur les camps de concentration, qui est une œuvre tellement importante et tellement belle que... Euh... Oui, je crois que c’est cela... Nous montrer que, même si nous n’étions pas nés au moment de... au moment de... du nazisme, nous sommes à la lettre avant de naître, nous sommes passés par cette mort. Euh, nous ne sommes pas restés, non, on n’y est pas resté, beaucoup y sont restés, mais on est tous passés par cette mort qui a été, une des composantes, de ce qu’on appelle "notre monde moderne", de ce monde avec laquelle nous avons perdu le lien. 

Et, dans les cas plus, euh, plus, plus doux quoi, cette mort à laquelle nous passons dans des cas tout autres, ce ne sera pas celle des camps d’ extermination, ce sera celle qui n’a rien à voir avec. Ce sera cette mort impliquée dans toute culture, ce sera la mort, qui constitue, les strates et les étages à la bibliothèque nationale. Et il faut passer par cette mort, par cette culture mortifiée, pour que la culture vive. Et là aussi vous avez le même thème dans le film célèbre de, euh, de... Resnais 

Étudiante : Toute la mémoire du monde 

Deleuze : Toute la mémoire du monde ! Toute la mémoire du monde. Et, ensuite dans ses films - que soit Muriel , que ce soit, si vous pensez à « Je t’aime, je t’aime »... "Je t’aime, je t’aime", c’est, c’est... ça me paraît... ou « Providence », qui me paraissent parmi les deux plus beaux films de Resnais - vous trouverez perpétuellement, ce thème, de l’homme qui revient des morts, hein, il revient de la mort. Je pense même que, c’est... c’est... un problème...Vous savez c’est ce que je vous disais sur le problème et les gens, là, euh, c’est un problème tellement, euh, important que Resnais vit tellement que, moi je suis sûr que personnellement il en est marqué,que, il se vit comme ça. Euh, je ne sais rien de la vie personnelle de Resnais, mais je suis sûr qu’il se vit comme ayant quelque chose à faire, euh, comme étant passé d’une certaine manière par la mort. On peut, on peut se vivre comme ça pour des raisons en apparence les plus futiles... une expérience enfantine, un accident de voiture, je ne sais pas quoi. 

Bon, il y a processus lorsque, vous ne serez plus jamais le même qu’avant. Bon, eh ben...quand je dis, faites-le à dose homéopathique et avant sinon vous serez brisés par le processus, je veux rien dire d’autre. Alors tout ce que je voulais dans ce premier point-là et en invoquant, euh, Resnais, euh, aussi bien que Jaspers toute à l’heure, voilà, c’est ça le processus. Le processus est la force du dehors en tant qu’elle nous ramène à des morts, en tant qu’elle nous fait revenir des morts... Et je crois que ce que je dis là est conforme, sans doute, à la pensée de Blanchot - ce n’est pas facile comme pensée, c’est une pensée très complexe - et certainement à la pensée de Foucault. C’était mon premier point quant à ce thème, "la pensée du dehors". Mais encore une fois ça ne dit pas qu’est ce que c’est, encore une fois, ce dehors ?

Transcription : Eriola Alcani

http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/IMG/mp3/20_11_1984_2.mp3

http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=368

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